La biodiversité végétale est une composante majeure de la résilience des agroécosystèmes, à l’origine d’un nombre important de services écosystémiques pour la production agricole (ressource pour les auxiliaires des cultures, pollinisation) et pour la préservation des ressources du sol (couvert enherbés) et en eau (phytoremédiation, par ex.) (Garcia et al 2018). Durement impactée par l’agriculture intensive et le changement climatique (Lichtenberg et al 2017), elle est peu à peu ré-introduite dans les paysages agricoles via la biodiversification et l’agroécologie, en partant du constat que les paysages plus complexes, i.e. plus riches en éléments semi-naturels, facilitent l’établissement d’une biodiversité associée dans les parcelles (Estrada-Carmona et al 2022).
Cette biodiversité spécifique, mieux caractérisée dans l’espace et dans le temps, atteste ou non de la réussite des programmes agroécologiques en termes de restauration des connectivités écologiques et renseigne sur la santé des agroécosystèmes. Les communautés végétales traduites en propriétés fonctionnelles renseignent à la fois sur la réponse des plantes soumises au changement climatique et sur la contribution de la biodiversité à la restauration des services écosystémiques (Rudi et al 2020). Il est donc important de pouvoir caractériser cette diversité dans tous les éléments du paysage, et en particulier les espaces interstitiels des cultures, i.e. haies, fossés, bordures, susceptible d’être biodiversifiés car non productifs.
Or la caractérisation de la biodiversité à une échelle spécifique, i.e. l’identification des espèces végétales et de leur couverture par unité de surface, est une tâche réservée à un certain nombre de spécialistes, botanistes professionnels ou amateurs, selon des protocoles spécifiques établis en fonction du type de milieu et du type de diversité recherchée (alpha, beta, gamma), avec parfois un biais d’observation significatif (Archaux et al 2006, Morrison 2016). Ces freins réduisent la force d’échantillonnage nécessaire pour répondre aux enjeux actuels de préservation des ressources à l’échelle du paysage (cf. au grain des infrastructures agroécologiques). Cet échantillonnage doit être à la fois dense spatialement pour caractériser finement la biodiversité de tous les éléments du paysage impactés par la transition agroécologique, et temporellement pour permettre à la biodiversité végétale de jouer le rôle de sentinelle des impacts du changement climatique.
L’arrivée récente de l’intelligence artificielle appliquée à l’imagerie, et la diffusion d’application dédiée à la reconnaissance automatique des espèces, comme Pl@ntNet (Affouard et al., 2017), a bouleversé la situation, ajustant les déséquilibres en permettant à tout un chacun de reconnaître des espèces végétales à partir d’une image prise sur le terrain. Cette méthode est particulièrement efficace pour reconnaître une espèce à partir d’une ou plusieurs images de couverture du sol (Bonnet et al 2016), mais son potentiel à reconnaître et positionner plusieurs spécimens à partir d’une seule image est encore à approfondir.
Bien que des améliorations notables aient été apportées sur des images multi-specimen de plantes cultivées (van der Velde, 2022), il subsiste un certain nombre de verrous méthodologiques pour relier ce type d’application à des protocoles d’échantillonnage de la biodiversité des milieux agricoles. En effet, ces derniers nécessitent des analyses exhaustives de couverts végétaux (par exemple des quadrats ou des transects) pour lesquels il est nécessaire de reconnaître plusieurs espèces en mélange par unité de surface, à des stades phénologiques divers. Réaliser de tels relevés en photographiant et en identifiant les individus un par un avec une application telle que Pl@ntNet serait un travail très long et très pénible qui limiterait l’acceptabilité et la mise en œuvre de telles approches. Une solution serait donc de développer de nouveaux outils permettant d’automatiser ce type de relevé directement à partir d’images d’un couvert végétal multispécifique.
L’objectif du travail de thèse est d’étudier l’impact de la transition agroécologique et du changement climatique dans les paysages agricoles sur la structuration des communautés végétales. Afin d’assurer un échantillonnage spatio-temporel cohérent avec les phénomènes étudiés, il s’agira de définir, implémenter et tester une méthode d’analyse applicable aux images de couvert végétal. La méthode se basera essentiellement sur des algorithmes d’apprentissage profond de type réseaux de neurones convolutionnels ou vision transformers. Elle sera testée sur le terrain pour embrasser la diversité des conditions inhérentes à l’échantillonnage (météo, accès aux zones de prospection, diversité des stades phénologiques des espèces).
Le (la) doctorant(e) collectera et mettra en forme les jeux de données déjà acquis, annotera et labelisera les images déjà produites, et mettra en place le cas échéant de nouveaux protocoles d’acquisition. Deux types de jeux de données déjà acquis et à compléter seront mobilisés: des échantillonnages multi-sites en snapshot selon des gradients environnementaux et des suivis temporels mono-site avec une fréquence régulière.
Diverses méthodes de classification seront étudiées : tiling-based, multi-label ou segmentation d’instance, pour en évaluer la précision, le biais systématique et les incertitudes associées par niveau taxonomique, en comparaison avec les jeux de données d’observations.
La méthode, une fois validée, sera utilisée pour répondre à des enjeux spécifiques du laboratoire d’accueil, le LISAH, vis-à-vis de l’écohydrologie, science interdisciplinaire étudiant les relations duales entre végétation et eau (Vinatier et al 2017, Rudi et al 2018). Il s’agira dans un premier temps de cartographier la réponse des communautés végétales à une variation de la ressource en eau, selon l’hypothèse de la niche hydrologique (Silvertown et al 2015). La diversité floristique échantillonnée sera transformée en traits moyens d’effet sur les transferts d’eau dans les paysages, via des bases de données internes au laboratoire ou externes (LEDA, TRY). On pourra citer comme exemple de fonctions à tester la capacité d’infiltration par les racines, son évapotranspiration potentielle, son impact sur le cheminement de l’eau, en reliant les espèces identifiées à des traits fonctionnels: longueur de racine, efficience utilisation de l’eau, porosité des plantes. Enfin, les successions intra-spécifiques (stades phénologiques) et inter-spécifiques (espèces) seront étudiées au cours du temps pour évaluer l’impact de la saisonnalité et du changement climatique sur les propriétés fonctionnelles des couverts.
Dans ce cadre, des échantillonnages spécifiques seront réalisés à des fréquences spatiales et temporelles inégalées pour étudier la variation de la diversité beta selon des gradients hydrologiques en particulier, et la succession des espèces végétales et leurs traits associés au cours du temps. Ils s’appuieront sur les dispositifs d’observation du laboratoire LISAH (ORE OMERE) et aux autres observatoires (Pech Rouge, Basse Vallée Durance) coordonnés via le projet MOMAC (Financement Labex Agro 2021-2024).
Master en Informatique/traitement image. Compétences nécessaires en programmation (python) et en deep learning (tensorflow, pytorch). Intérêt pour la botanique et le travail de terrain.
Fabrice Vinatier fabrice.vinatier@inrae.fr et Alexis Joly alexis.joly@inria.fr
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